Interview de Jules Nyssen, Président du SER
Actualité Électricité
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Vous venez d’être élu à la tête de la présidence du Syndicat des Énergies Renouvelables. Quelles sont vos premières impressions ? quels seront vos grands chantiers durant votre mandat ?
J’ai pris mes fonctions le 25 octobre dernier dans un contexte aux enjeux très forts, compte tenu de la crise énergétique, de la situation macroéconomique, et de la volonté du gouvernement de présenter un projet de loi d’accélération des énergies renouvelables. J’ai trouvé au syndicat des adhérents soudés et désireux d’avancer de façon constructive, très mobilisés dans les commissions thématiques, ainsi qu’une équipe de permanents à la compétence remarquable.
Le SER est un très bel outil qui représente l’ensemble des filières d’énergies renouvelables, l’ensemble de la chaîne de valeur, et qui offre à ses membres beaucoup de valeur ajoutée par la transversalité qu’il parvient à créer entre toutes ses composantes.
J’ai noté qu’il était crédible et respecté par le gouvernement et les parlementaires. Ce sérieux est à mettre au crédit de mon prédécesseur Jean-Louis Bal qui a occupé la présidence pendant douze ans, avec toute la compétence et l’engagement que nous lui connaissons.
Lorsque j’ai présenté ma candidature devant les adhérents, j’ai axé mon projet autour de la communication et du rapport aux territoires. Les ambitions que nourrit la France en matière de renouvelables nécessitent de l’adhésion, et ces derniers temps, on a pu voir apparaître des crispations qu’il faut dénouer sans tarder. La relation aux élus locaux est de ce point de vue essentielle. Professionnellement, je connais intimement le monde des collectivités locales, et je compte bien mettre à profit cette connaissance pour faciliter le dialogue. Il en va de même pour l’opinion publique en général. Beaucoup de choses inexactes sont dites, en surfant sur les inquiétudes légitimes de nos concitoyens. Dans le domaine de l’énergie, nous avons besoin de faire preuve de beaucoup de pédagogie et de transparence. Par chance, les travaux de RTE et de l’ADEME, notamment, offrent des éléments de réflexion issus d’une méthodologie que personne ne conteste. Je compte bien m’appuyer sur ces derniers pour éclairer le débat public.
Dans le contexte de crise actuel, quels sont les atouts des énergies renouvelables ? Comment peuvent-elles contribuer à la sortie de crise ?
Il y a eu un avant, et il y aura un après à la crise que nous connaissons. La guerre en Ukraine a été le révélateur d’une situation qui couvait, entre les tensions inflationnistes liées aux différents plans de relance dans le monde, et la nécessité d’accélérer la décarbonation de nos économies. La sortie de crise se fera donc par une transition profonde.
Les EnR sont au coeur de cette transition pour plusieurs raisons.
La première est évidemment qu’elles constituent une source d’approvisionnement en énergie qui est devenue essentielle. Lors du colloque du SER, la ministre Agnès Pannier-Runacher a même qualifiées « d’énergies centrales ». Songeons, par exemple, que si la France avait tenu sa trajectoire en matière d’ENR (23 % de part d’ENR dans la consommation finale d’énergie au lieu de 19,1 %), nous aurions eu à disposition en 2020 une production complémentaire correspondant à 20 % des besoins de l’ensemble de l’industrie ! Ce n’est pas anecdotique.
La deuxième est que ces énergies sont des énergies de territoire. Les projet d’EnR sont implantés près de nos concitoyens, et d’une certaine façon ils redonnent une réalité matérielle à une énergie que l’on a longtemps pu considérer comme illimitée. Bien entendu, cette prise de conscience ne va pas sans poser des difficultés, mais elles font partie de la transition que j’évoquais tout à l’heure. Et elles faciliteront les efforts de sobriété nécessaires, en privilégiant des logiques de circuit court.
La troisième est que très majoritairement, les EnR se développent au travers de mécanismes de marché qui stabilisent les prix. Qu’il s’agisse de contrats pour différence ou de PPA (« Power Purchase Agreement » – Contrat d’achat d’électricité à long terme), le modèle économique cherche à privilégier le coût moyen. D’autre part, le prix n’est plus lié à la rareté d’une ressource naturelle. C’est aussi pour l’État une manne financière, puisque comme la Commission de régulation de l’énergie (CRE) l’a elle-même relevé, les EnR rapporteront 31 milliards d’euros au budget de la Nation en 2022 et 2023. Le jour du dépassement, celui où cette contribution aura dépassé le montant des aides reçues, n’est plus très loin !
La quatrième est que la production d’EnR représente une opportunité industrielle remarquable, y compris en termes d’innovation ou d’emplois. C’est un enjeu qui va totalement de pair avec notre volonté de reconquête de notre souveraineté économique et la France dispose d’atouts considérables, y compris pour se positionner à l’export.
Enfin, une dernière raison, et non la moindre, c’est que quel que soit le scénario retenu pour le nucléaire, les EnR sont la seule source d’énergie décarbonée dont la production peut être augmentée sans délai, compte tenu du nombre de projets dans les files d’attente, et donc de réduire notre dépendance aux énergies fossiles. C’est d’ailleurs ce qui fonde le projet de loi d’accélération des EnR dont j’espère qu’il permettra à la France de rattraper rapidement son retard.
Lors de votre congrès en septembre dernier, Emmanuelle Wargon a rappelé l’urgence de développer encore plus les ENR. Quelle est votre vision du mix énergétique français ?
Nous considérons que notre mix énergétique doit être le plus diversifié possible et que la part des renouvelables doit considérablement augmenter. Nous porterons des propositions dans le cadre du débat et de la préparation de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Les grands axes de ces propositions se trouvent d’ores et déjà dans la feuille de route* que le SER a publiée à l’occasion de son colloque annuel en septembre dernier. Comme l’indiquent tous les scénarios étudiés par l’ADEME et RTE, les énergies renouvelables devront couvrir près de 75 % de notre consommation énergétique en 2050. Et il faut avoir en tête que tous les usages ne pourront être électrifiés (chauffage, transports, processus industriels, etc.) et que le vecteur électrique ne devrait représenter « que » 50 % à 60 % de notre consommation d’énergie. Il sera donc essentiel de mobiliser l’ensemble de la palette des solutions renouvelables, pour les usages de la chaleur, du froid, des transports et du gaz.
Ne pensons pas que 2050 est une échéance lointaine. Ce n’est « que » dans 10 000 jours ! Et il ne faudra pas se réveiller en 2045 pour se demander si l’objectif sera atteint. Des jalons sont indispensables. C’est pourquoi nous soutenons les propositions de la Commission européenne qui souhaite, dans le cadre de REPowerEU, accélérer encore davantage le développement des énergies renouvelables, en faisant passer l’objectif de 40 % à 45 % d’énergies renouvelables dès 2030. Notre feuille de route démontre, filière par filière, que cet objectif est atteignable en France, et nous nous battrons pour qu’il puisse être intégré dans la prochaine PPE.
Enfin, je voudrais souligner les enjeux particuliers auxquels sont confrontées les zones non interconnectées, La Corse et les régions ultra-marines. La dépendance aux énergies fossiles y est plus grande qu’ailleurs, et le développement accéléré des énergies renouvelables dans le cadre de PPE spécifiques y est indispensable pour alléger la facture énergétique.
Consulter la feuille de route du SER "L’énergie d’un nouvel élan pour la France"