Réforme du marché de l'électricité : Négociations en cours au Conseil de l’Union européenne et au Parlement européen
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Les marchés européens de l’énergie connaissent, depuis deux ans, une crise inédite au cours de laquelle les prix sur les marchés de gros ont atteint des niveaux très élevés jamais atteints précédemment.
Deux raisons principales à l’échelle européenne : une baisse très forte des approvisionnements en gaz par gazoducs en provenance de Russie et, plus spécifiquement pour la France et une indisponibilité élevée des centrales nucléaires françaises.
La Commission européenne s’était saisie du sujet et du rôle et de l’organisation du marché dans l’émergence de la crise dès l’automne 2021. Face à l’augmentation des cours de l’électricité, elle avait donné mandat à l’ACER de mener des investigations sur le fonctionnement du marché européen et les améliorations à y apporter. Les conclusions de l’ACER, publiées en avril 2022, estimaient que l’organisation du marché à court terme, en permettant de faire appel aux moyens de production selon leurs coûts croissants, avait fait la preuve de son efficacité, il est d’ailleurs important de souligner qu’aucun Etat membre n’a subi d’interruption d’approvisionnement en électricité. En revanche, l’ACER estimait qu’il fallait agir sur les aspects de plus long terme avec deux volets : l’investissement dans les moyens de production bas carbone et la protection des consommateurs contre la volatilité des prix.
L’année 2022 fut particulièrement chaotique, l’agression de l’Ukraine par la Russie ayant exacerbé la crise gazière. La baisse des approvisionnements en gaz russe par gazoducs ainsi que la nécessité d’importer du gaz depuis d’autres pays producteurs ont conduit à des pics de prix du gaz historiques qui se sont transmis aux bourses d’électricité puis aux consommateurs. Plusieurs règlements d’urgence ont alors été adoptés afin d’assurer la sécurité d’approvisionnement et donner un cadre aux Etats membres pour intervenir afin de limiter la hausse des prix pour certains consommateurs.
La CRE s’est saisie du sujet en réunissant en décembre 2022 des professeurs d’université sur la réforme des marchés européens de l’électricité et a publié en mars dernier un rapport qui a pour but d’éclairer les pouvoirs publics nationaux et européens qui préparent actuellement la réforme.
En ce qui concerne les réformes à plus long terme, la Commission européenne avait annoncé préparer une révision du design du marché européen de l’électricité. Après avoir organisé une consultation publique en janvier 2023, elle a publié une proposition législative le 14 mars 2023 maintenant étudiée par le Conseil de l’Union européenne (UE) et le Parlement européen. Le premier volet des propositions portant sur le fonctionnement des marchés de court terme reste marginal par rapport aux questions portant sur les marchés de long terme – investissement, protection des consommateurs et amélioration du fonctionnement des marchés à terme.
Un second volet porte sur la révision du règlement REMIT qui organise la surveillance des marchés de gros de l’électricité et du gaz. L’intention de la Commission est notamment d’améliorer la transparence sur le fonctionnement des marchés de gros et de faire évoluer le cadre d’analyse des cas suspects d’abus de marché ayant une dimension transfrontalière en octroyant un nouveau pouvoir d’enquête à l’ACER en complément des prérogatives des régulateurs nationaux.
Pour ce qui est de l’investissement dans de nouveaux moyens de production décarbonés, le texte publié propose d’accélérer le développement des contrats privés d’achat de long terme, au titre desquels des acheteurs s’engageraient sur longue période à enlever des volumes donnés d’énergie, contribuant ainsi à sécuriser les revenus à venir des producteurs. Autre proposition, les mécanismes de soutien étatiques aux consommateurs et aux producteurs prendraient la forme de contrats pour différence qui garantiraient un prix d’achat aux producteurs pour la production vendue sur le marché. Un prix de marché inférieur au prix d’exercice ouvrirait droit à compensation tandis qu’un prix plus élevé donnerait lieu à paiement de la part des producteurs. Parmi les points de négociation figure l’éligibilité des centrales nucléaires, futures et existantes, à ces mécanismes. Le texte propose également de mettre en place des obligations de couverture contre les risques prix pour les fournisseurs. En complément, il y a l’ambition d’améliorer la liquidité des marchés à terme en créant des « hubs virtuels », qui consisteraient à regrouper plusieurs zones de marché nationales en une seule entité au niveau de laquelle seraient établis des indices de prix servant de référence aux contrats à terme. D’autres mesures techniques sont envisagées comme l’obligation de clôture plus tardive du marché transfrontalier avant les livraisons effectives de l’énergie.
Ces dernières mesures posent des questions méthodologiques difficiles, il est notamment compliqué d’en évaluer les conséquences voire les contours techniques. L’absence d’étude d’impact, qui s’explique notamment par les délais très courts pour la préparation de ce texte, est préjudiciable à la qualité des propositions. La CRE préconise une certaine prudence, proposant de privilégier des évolutions techniques maîtrisées par rapport à des propositions trop immatures. C’est particulièrement le cas des hubs virtuels, concept dont la transposition doit être assurée par ENTSOE qui devra apporter des réponses aux défis techniques soulevés.
En ce qui concerne le règlement REMIT, la CRE accueille favorablement la volonté de renforcer la surveillance et les contrôles des marchés de gros. Néanmoins, la CRE regrette que, malgré le caractère structurant des modifications proposées, celles-ci n'ont pas fait l'objet d'une étude d'impact. En particulier, le nouveau pouvoir d’enquête octroyé à l’ACER contrevient au principe de subsidiarité vis-à-vis des régulateurs nationaux. La crise énergétique n’a pas permis de déceler des menaces systémiques quant à l’intégrité et la transparence des marchés de gros à l’échelle européenne de nature à justifier une révision du règlement REMIT d’une telle ampleur. Il est important de noter qu’aucun dispositif similaire conférant des pouvoirs d’enquête pour abus de marché à une agence européenne n’existe dans la régulation financière. Une éventuelle comparaison avec les pouvoirs d’enquête de la DG COMP en matière de droit de la concurrence est tout aussi inappropriée. Les critères de définition des cas transfrontaliers proposés interrogent quant à une possibilité de les interpréter de façon très large. La CRE préconise, afin de préserver le principe de subsidiarité et les pouvoirs des régulateurs nationaux, que le règlement REMIT précise que l'ACER est obligé de recueillir l’autorisation du régulateur national concerné avant de mener des enquêtes dans la juridiction de son Etat membre.
Après plus de trois mois de négociations, les premiers compromis se dessinent au Conseil de l’UE et au Parlement européen. S’agissant du règlement REMIT, l’orientation générale, qui sert de mandat de négociation avec le Parlement en vue de l'élaboration du texte définitif, a été adoptée lors d’un réunion des ministres de l’Energie de l’UE le 19 juin dernier. A l’heure actuelle, le texte est discuté au Parlement européen et sera soumis au vote de la commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie (ITRE) le 7 septembre 2023. En ce qui concerne le texte sur la réforme du marché de l’électricité, aucun compromis n’a pu être trouvé au Conseil jusqu’à présent. Les négociations continuent après la trêve estivale avec l’objectif d’adopter l’orientation générale avant mi-septembre. Du côté du Parlement européen, la commission ITRE a voté le texte sur la réforme du marché de l’électricité le 19 juillet dernier. Ces deux sujets reviendront à l’ordre du jour de la session plénière du Parlement européen du mois de septembre. Les trilogues devraient ainsi débuter à l’automne 2023 avec l’objectif d’aboutir à l’adoption des deux textes avant la fin de l’année 2023.